Letzte Aktualisierung: 24. Mai 2015, PK

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Peter Knauer SJ

Être sauvé de la question de la theodicée


Dans la question de la « théodicée » il s’agit de la « justification de Dieu » : comment un Dieu prétendument « tout-puissant » et en même temps « totalement bon » peut-il admettre tant de maux et de malice ? Pour beaucoup, cette question de la théodicée représente l'objection la plus difficile à la foi. Même la plupart des théologiens considèrent le problème de la théodicée comme insoluble ; selon eux, ce n’est que dans l’au-delà que la réponse sera fournie.  

Il est étonnant en réalité, que le christianisme se batte encore après deux mille ans avec cette question. Car la pointe du message chrétien consiste à sortir cette question de ses gonds et à la rendre sans objet. Il la remplace par cette autre question : en quoi la foi nous aide-t-elle à « faire avec » la souffrance ? Grâce à elle, on ne doit plus désespérer ; on peut gagner une certitude plus forte que toute crainte pour soi-même.

Déjà saint Paul écrit dans l’Épitre aux Romains (8,35-39) : « Qui nous séparera de l'amour du Christ? La détresse, l'angoisse, la persécution, la faim, le dénuement, le danger, le glaive? … Oui, j'en ai l'assurance: ni la mort ni la vie, ni les anges ni les dominations, ni le présent ni l'avenir, ni les puissances, ni les forces des hauteurs ni celles des profondeurs, ni aucune autre créature, rien ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu manifesté en Jésus Christ, notre Seigneur. » Comment la détresse, l'angoisse ou la persécution peuvent-elles alors encore être une objection contre cette foi ?  

Pareillement, celui qui récite le psaume 23, « Le Seigneur est mon berger » ne se fie pas à l’amour de Dieu seulement « sur de frais herbages, … près des eaux du repos ». La confiance vaut également et comme à plus forte raison, si l'obscurité est si profonde qu'on ne trouve plus d’autre orientation que le bâton du berger qui résonne sur le sol rocheux.

En revanche la question habituelle de la théodicée part de deux présupposés faux. Premièrement que la toute-puissance de Dieu consisterait à pouvoir intervenir en toute circonstance. Déjà cette idée d’intervention divine présuppose à tort que, autrement, le monde irait son propre cours indépendamment de Dieu. De plus, si la toute-puissance de Dieu consistait dans le fait de pouvoir faire n’importe quoi, on ne saurait par ailleurs jamais s’il va le faire réellement. Dieu serait alors un « facteur » incalculable, avec lequel on devrait cependant compter. Dans cette compréhension des choses, la confiance en la toute-puissance divine aboutirait au fond à jouer à colin-maillard.

Deuxièmement la bonté de Dieu devrait consister à veiller à ce que tout aille toujours bien. Lorsqu'on réussit et se trouve sain et sauf, on se sait aimé de Dieu. Mais dès le moment où l’on est malade ou dans la misère, Dieu serait lointain. Quelle opinion peut être plus funeste ? Si nous avons besoin d’être délivrés et rédimés de quelque chose, ce serait de cette opinion qui, vu notre condition mortelle, ne peut conduire qu’au désespoir.

Il est vrai qu'il ne peut pas y avoir en principe de réponse à la théodicee. Cela ne tient toutefois pas aux limites de notre faculté de penser. La question de la théodicée part plutôt de présuppositions logiquement contradictoires : Dieu y est pensé comme un élément de système du monde, dont on peut déduire la réalité concrète du monde. 

Le message chrétien entraîne une autre compréhension de Dieu. Selon la vision de la Bible, d'emblée tout ce qui existe est tel qu’il ne peut exister sans Lui. Cela vaut aussi pour la souffrance, le mal et la mort. De Dieu, il n'est question qu’en reconnaissant que tout a effectivement à voir avec lui. L’univers est créé du rien, c.-à-d. : si l’on pouvait éliminer son être créé, rien ne subsisterait de lui. Mais Dieu lui-même ne tombe pas sous nos concepts. Nous ne  comprenons de lui que ce qui est différent de lui et renvoie à lui. On ne peut par conséquent parler de Dieu que de manière « indicative » (analogique). Dieu est « sans qui rien n'est ». Tout ce qui existe dans l’univers n’est que relation unilatérale à Dieu. De cette façon, la tentative de déduire dans la direction inverse quelque chose de Dieu manque de tout fondement dans le réel.

Naturellement, il est logique de chercher par exemple les causes d’un crash d’avion, afin de les prévenir à l'avenir. Mais si au lieu de se poser cette question on spécule sur la question de savoir pourquoi Dieu n'empêche pas un crash, on part de ces deux présupposés logiquement incohérents qu'il serait possible de déduire quelque chose de Dieu, et que l’on pourrait, pour ainsi dire, se placer encore au-dessus de Dieu pour le juger. Si c’est seulement à partir du monde réel et vrai que nous pouvons parler der Dieu, on ne peut pas faire ensuite valoir cette réalité du monde contre Dieu. Dieu n'est pas non plus « tout-puissant » dans le sens seulement potentiel qu'il pourrait faire n’importe quoi, tout le possible ; il est « puissant en tout », en tout ce qui arrive de fait. 

Quelle est alors la signification de l’amour de Dieu ? Dans la Parole de Dieu qui nous vient par Jésus, il nous est dit que Dieu se tourne vers nous dans un amour qui ne trouve pas sa mesure dans quelque chose de créé ; le monde n’est pas un « thermomètre » qui mesurerait la bonté de Dieu. Celui-ci est plutôt l'amour de Dieu à Dieu, du Père au Fils, dans lequel nous sommes accueillis. Il s’agit d’une communion avec Dieu qui subsiste dans la vie et la mort. Elle nous libère du pouvoir de la crainte pour nous-mêmes, parce que Dieu est celui qui est puissant en tout. Alors aucun pouvoir au monde ne peut plus avoir le dessus contre le fait que nous restons sauvés dans la communion avec lui.

Cela ne signifie pas que la mort nous est épargnée, mais que même la mort ne peut pas nous séparer de la communion avec Dieu dans laquelle nous restons pour toujours.

Parce que tout ce qui arrive, est d'emblée dans la main de Dieu, le message chrétien ne connaît pas d'autre « intervention particulière » de Dieu dans le monde que son autocommunication dans la Parole humaine qui veut nous rendre possible une foi communautaire et un amour désintéressé.

Considéré en abstrayant de la communion avec Dieu, le monde entier est, en fin de compte, comme une « parabole » de l’enfer. La mort a le dernier mot, et aucun bonheur du monde n'y peut quelque chose (cf. Luc 12,16-21). Dans la foi, nous disons de ce même monde : il est une « parabole » de la communion éternelle avec Dieu, dans laquelle nous vivons déjà maintenant. Toute bonne expérience, si faible et passagère qu’elle soit, devient pour nous une « parabole » du Ciel. Elle devient la « parabole » de la communion avec Dieu, contre laquelle aucune souffrance, ni même la mort, ne peuvent avoir le dessus. La mort a perdu tout caractère de « parabole » de perdition éternelle. Elle empêche seulement qu'on confonde le monde avec le Ciel , au lieu de le voir seulement comme « parabole » de celui-ci.

Même dans la plainte de la souffrance, nous nous fions à Dieu, dans l'amour duquel nous nous savons sauvés dans la vie et dans la mort. Cela est une conversion englobant même notre précompréhension : tout le cadre de notre manière de penser Dieu doit être converti.


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